Chroniques Matriciennes / Épisode I: La Revanche Historique

Les Chroniques Matriciennes, c’est notre rendez-vous hebdomadaire, l’occasion de donner la parole à différents contributeurs qui nous partagent leur vision de la crise sanitaire afin de la penser ensemble sous un angle social, sociétal ou historique. Aujourd’hui découvrez une mise en perspective historique de la pandémie actuelle, un billet signé François-Xavier PETIT, Directeur Général de Matrice.io

Le coronavirus se diffuse dans nos sociétés. Sur les routes de la mondialisation, il est venu d’Asie en Europe puis en Amérique. Quelle ironie dans ce trajet occidental qui sonne comme une revanche de l’histoire !

Car ne faisons pas comme si c’était la première fois ! 3000 ans d’explorateurs ou de coloniaux ont brassé bien des virus sur tous les continents. De fait, la globalisation que l’on connaît à partir de l’an mil est aussi celle des microbes, à dos des caravanes sur les routes de la soie, ou dans les cales des caravelles partant pour les Indes. Le coronavirus remue aujourd’hui cette histoire millénaire et très loin d’être neutre.

En effet, pour bien des chercheurs – Jared Diamond en tête – la maladie infectieuse est même la pointe acérée de la conquête du monde par les Européens, bien avant leur intelligence et leur technologie. L’effondrement de l’empire aztèque doit beaucoup aux maladies apportées par les conquistadors. C’est le « choc microbien ». Des Amériques aux Indes orientales, partout les microbes importés ont massivement tué les indigènes, tandis que les Européens – protégés par des immunités développées longuement dans nos villes occidentales – ont survécu. Ici est l’une des causes expliquant comment de si faibles contingents ont pu prendre possession de territoires si vastes. Le niveau de développement et la sophistication de nos cultures et systèmes militaires comme ultime explication de la colonisation repasseront donc. Une lecture de la globalisation en termes “d’immunité différentielle” est clairement possible. Aussi, le virus et l’impérialisme ont longtemps joué dans le même camp.

Il faut tirer ce fil, car après la conquête vint l’administration des territoires colonisés. Et la médecine fut l’un des instruments de la domination. Face aux forces vives européennes, le corps de l’indigène est souvent apparu comme affamé, décharné, vérolé, donnant droit à le corriger, l’éduquer ou le soigner. Alors le médecin s’est rêvé en hussard blanc de la civilisation dans des territoires ravagés par les contagions. Il a ordonné, prescrit, administré, séparé, testé sur ces corps soumis. La médecine a participé de la colonisation, d’une manière de voir les populations, d’apporter ses lumières ou de croire dans le progrès, quitte à y laisser sa propre vie. La domination n’exclut ni l’amour, ni la sincérité des convictions. L’opposition n’est d’ailleurs pas si farouche entre le colonisateur et l’indigène. David Arnold a montré que les médecins britanniques installés dans les protectorats des Indes n’ont pas manqué de collaborer avec les médecines traditionnelles face à la surmortalité des Européens sur le sous-continent. Et, inversement, les nationalistes indiens ont aussi fait des techniques traditionnelles de guérison l’un des enjeux de leur agenda politique pour s’émanciper du colonisateur. Le virus est bien un micro-organisme politique, qu’il le veuille ou non !


C’est dans la traîne de cette longue histoire que surgit le coronavirusDans son halo, il y a toute l’histoire coloniale des épidémies orientales. Alors il faut se mettre à la place de la Chine, hantée par l’humiliation répétée que pouvait représenter la pandémie sur son territoire… et nos explications occidentales : la promiscuité homme / animal, le mode de vie traditionnel, le sous-développement qui perdure sous le vernis de la modernité. La Chine s’est donc précipitée pour conjurer l’humiliation et retourner le scénario attendu de la pandémie. Idem pour la Corée du sud. Et quand déferle sur l’Occident la terrible vague pandémique, la Chine et la Corée l’ont vaincu et font même figure de modèles pour beaucoup. Force est de constater que scénario colonial a été cassé… et ce n’est pas si fréquent. Le coronavirus est-il le premier virus post-colonial ? Cette lecture très « subaltern studies » du virus n’est forcément qu’une interprétation possible, mais ce qui reste vif et actuel est l’histoire mondiale des épidémies, comme la blessure coloniale. Personne, en tous les cas, ne l’ignore au-delà de l’Occident.

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