Chroniques Matriciennes / Épisode VI: Invisible, l'impact du numérique ?
Les Chroniques Matriciennes, c’est notre rendez-vous hebdomadaire, l’occasion de donner la parole à différents contributeurs qui nous partagent leur vision de la crise sanitaire afin de la penser ensemble sous un angle social, sociétal ou historique. Aujourd’hui, ce sont les membres de l’agence d’innovation Ctrl S qui ont pris leur plume (et leur clavier) pour questionner notre usage du numérique.
Si le confinement établi par le gouvernement le 16 mars dernier a contraint de nombreux Français à limiter leurs déplacements, repenser leur organisation et à privilégier l’usage du numérique pour poursuivre leur vie professionnelle et personnelle, ils pourraient bien être amenés rapidement à revoir aussi leurs pratiques numériques. Que ce soit pour des besoins de télétravail, pour pallier l’ennui induit par le chômage technique ou pour maintenir un lien social lors de “skypéros”, la fréquence et la durée de connexion augmentent. Certains opérateurs estiment une hausse de 10 à 30 % de la mobilisation générale de la bande passante.
Cette pandémie remet en question notre mode de vie et met en évidence que le numérique est tout sauf dématérialisé et anodin.
Pour beaucoup de consommateurs et de décideurs, le numérique est un idéal immatériel et hors-sol (on peut penser au nom même donné au “cloud”) dont les ressources seraient illimitées. En pratique, les données circulent dans d’énormes câbles et sont stockées dans d’immenses data-centers situés en Alaska ou au beau milieu de l’Océan Pacifique qu’il faut alimenter en énergie et surtout refroidir. Ces datas-centers sont des gouffres énergétiques qui engloutissent plus de 3% de la consommation électrique mondiale.
Cet épisode est à mettre en perspective dans un cadre plus large de sur-consommation numérique et de recours systématique à ce dernier pour développer de nouveaux produits ou services. La technomasse (la somme de tous les appareils technologiques) est en croissance perpétuelle (plus de 10% par an) et les fonctionnalités de ces objets se multiplient ne laissant pas présager un ralentissement de cette escalade à la consommation. La digitalisation de toutes les facettes de notre vie quotidienne provoque une forte augmentation de l’empreinte énergétique et donc écologique du numérique que l’on peut chiffrer à 9% par an. De plus, il est nécessaire de prendre en compte la production, les acheminements et le recyclage des ces appareils.
En 2013, les acteurs du numérique étaient responsables de 2.5% des émissions de gaz à effet de serre, ce chiffre dépasse aujourd’hui les 4% faisant entrer le numérique, s’il était un pays dans le top 10 des pays les plus polluants.
Le numérique représente donc un réel défi écologique que nous nous devons de prendre à bras le corps. Chacun a un rôle à jouer afin d’en diminuer l’impact sur la planète: les usagers, en adoptant de bonnes pratiques; mais aussi et surtout les concepteurs, décideurs et prescripteurs qui le façonnent et sont à l’origine des produits et services qui seront utilisés par des millions de consommateurs. C’est sur les bases de ce constat que notre agence d’innovation Ctrl S a organisé à Matrice en décembre dernier, un atelier lors du Green Hacking Day pour sensibiliser les jeunes entrepreneurs à leur pouvoir en tant que concepteurs du numérique et les inciter à agir en conséquence.
En effet, après avoir présenté aux participants les chiffres forts du secteur du numérique, Bela LOTO, Fondatrice de Point de M.I.R., Alexandre MONIN, Docteur en Philisophie et Spécialiste de l’Anthropocène et du Numérique ainsi que Sébastien HUERTAS, acteur du Bare Project et Développeur Responsable ont exposé tour à tour les fruits de leurs recherches ainsi que le coeur de leur action pour la soutenabilité du numérique. Forte de ces apports, chaque startup a pu s’atteler à déconstruire ses services numériques afin de cartographier dans le détail la complexité de ces derniers (scénario, flux, stockage, serveurs, échange de données, etc.) et de choisir une piste d’amélioration sur laquelle travailler.
Ce n’est donc plus un secret pour personne, il est grand temps que le numérique se responsabilise. C’est une tâche complexe mais d’intérêt général, ainsi nous invitons chacun: concepteurs comme usagers (et donc vous aussi qui êtes un usager du numérique si vous lisez ces lignes) à se poser les questions suivantes afin d’entamer la transition vers un numérique responsable et résilient: sur quelles technologies les services numériques que nous utilisons/proposons reposent-ils ? De quelles infrastructures nos activités dépendent-elles, desquelles pouvons-nous nous passer ? Existe-t-il des alternatives au numérique qui nous permettent de proposer des produits et services d’une qualité équivalente voire meilleure ?
Cette prise de conscience nécessaire s’inscrit dans un contexte politique, économique et social amené à évoluer rapidement, radicalement et celui-ci pourra faire obstacle au développement des organisations si ces problématiques ne sont pas appréhendées et anticipées correctement.
Sources:
L’état d’Internet en France, Rapport d’activité, ARCEP (2019)
Déployer la Sobriété Numérique, The Shift Project (2020)
Pour une Sobriété Numérique, The Shift Project (2018)
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À propos de Ctrl S:
Ctrl S est une agence d’innovation agrémentée ESS œuvrant pour un numérique responsable et créée par une équipe multidisciplinaire issue de formations en sciences humaines, design et ingénierie. De la réflexion à l’action, ils s’attaquent aux enjeux du numérique et imaginent avec les organisations (entreprises, incubateurs, services publics, concepteurs et décideurs du numérique…) de nouvelles manières de concevoir et utiliser leurs services et outils numériques afin d’en réduire l’impact écologique.
D’avantage d’informations concernant leurs projets sont à retrouver sur leur site : http://ctrls.studio/ ainsi que sur Linkedin et Twitter : @Ctrls_Studio