Parlons hyperconnexion avec Thibaud Dumas
Thibaud Dumas est docteur en neurosciences, entrepreneur, coach, auteur et directeur de notre incubateur de startup : Matrice Cube. Depuis plusieurs années, il étudie l’impact des écrans sur notre cerveau et le phénomène d’hyperconnexion. Il nous en parle juste ici ⬇️
Salut Thibaud, pour commencer, peux-tu nous dire ce qu’est l’hyperconnexion et comment lutter contre ce phénomène ?
Tout d’abord, il ne s’agit pas de prôner la déconnexion totale, mais de parvenir à un usage équilibré des écrans. Aujourd’hui, L’usage excessif des écrans est devenu la norme et cet usage a un impact négatif autant sur le plan professionnel que personnel.
On distingue d’un côté une multiplicité d’écrans, comme l’ordinateur, la tablette, les objets connectés, ou encore le smartphone qui fait converger de nombreuses problématiques et d’un autre côté différentes typologies d’usage comme celle appliquée aux réseaux sociaux. Les écrans et usages se multiplient et s’entrecroisent, si bien qu’il est très compliqué de les dissocier.
Pour comprendre l’hyperconnexion, il faut également comprendre le contexte : celui de l’économie de l’attention. Des chercheurs très ingénieux travaillent au quotidien au développement d’outils, de plateformes et d’applications, dont l’unique objectif est de capter notre attention le plus possible. Ces outils ont forcément un effet sur nos rapports aux écrans.
Comment savoir si l’hyperconnexion est une forme d’addiction ?
Et bien, grâce à un nombre croissant de recherches menées par des addictologues, neuroscientifiques et psychologues, on note des effets transverses entre l’usage des réseaux sociaux et certaines dépendances comportementales (comme celle aux casinos) : la perte de la notion du temps, la perte de contrôle, les perturbations au sein de la famille, de l’école ou du travail, le mépris des conséquences (nous sommes conscient·e·s que notre usage est problématique, mais nous continuons), la sensation de manque (lorsque notre téléphone n’est pas à côté de nous, un sentiment d’angoisse peut naitre), l’obsession et enfin l’habituation. Ce phénomène nous pousse à augmenter la dose à chaque usage pour avoir le même effet (si nous avons 10 likes aujourd’hui, nous en voudrons 50 demain, 100 la semaine prochaine, 1000 les semaines suivantes, etc).
Ensuite, les recherches tendent à démontrer un parallèle entre l’hyperconnexion et les autres types d’addictions (type alcool, drogue, etc). Pour rappel, il existe 4 niveaux dans la consommation : l’usage sain, l’usage excessif, l’usage problématique et enfin l’addiction. On retrouve ces niveaux dans l’hyperconnexion et notre consommation des outils numériques.
Depuis l’essor d’Internet dans les années 1990, une relation s’est tissée entre le temps passé sur les réseaux et les effets néfastes sur nos vies : augmentation du sentiment de solitude, augmentation de l’anxiété, baisse de l’estime de soi, etc. On observe une corrélation entre l’usage excessif des réseaux sociaux et l’augmentation de risque de dépression.
Face à ces constats alarmants, une question se pose : avons-nous la maitrise totale de notre libre arbitre sur Internet et sur les réseaux sociaux ?
Quand as-tu commencé à étudier l’hyperconnexion ?
En fondant ma première entreprise : MyBrain Technologies. À cette époque mon approche était diamétralement opposée : je me demandais comment les nouvelles technologies pouvaient nous aider au quotidien. Pourtant, plus je travaillais, plus mon niveau de stress augmentait (insomnies, perte de cheveux, etc). Après cette expérience, j’ai décidé de quitter ma boite. J’ai rencontré Vincent Dupin qui organisait des séjours déconnectés. Nous avons commencé à travailler ensemble et avons décidé de développer ensemble Into the tribe, afin de sensibiliser à l’hyperconnexion, principalement en entreprise.
Lors de mon premier atelier au sein d’une entreprise, nous présentions aux équipes les risques de l’hyperconnexion quand une jeune stagiaire s’est mise à pleurer. Elle nous a confié qu’elle ne supportait plus de recevoir des mails de son manager le soir et les week-ends. Le manager nous révéla ensuite qu’il était persuadé que cela faisait partie de son travail d’envoyer des mails tous les dimanche soir. C’est là que je me suis rendus compte des dérives de l’hyperconnexion. Nous avions la volonté de tout faire pour initier le changement.
C’est aussi pour cette raison que nous intervenions au sein des entreprises : l’hyperconnexion professionnelle est la 1re qu’il nous faut transformer avant de passer à un changement personnel. Nous réalisions, au fur et à mesure de nos interventions, que le problème était global et qu’il nous fallait donc fédérer des acteurs autour de nos engagements et harmoniser notre discours. Nous commencions à nous tourner vers les pouvoirs publics afin de suivre le droit à la déconnexion. Nous nous penchions aussi sur la protection des enfants à l’école et sur le bien-être des salariés.
C’est à ce moment que naquit le Collectif Attention hyperconnexion dont le but est de sensibiliser le grand public à l’hyperconnexion et de réunir différents experts issus des différents domaines touchés (management, neurologie, addictologie, parentalité, environnement, etc).
Quel est ton objectif en alertant le grand public à l’hyperconnexion et comment tu l’appliques au quotidien ?
Mon objectif est simplement de rendre les gens un peu plus heureux.
Je l’applique à mon échelle au sein de l’incubateur de Matrice : Matrice Cube.
En effet, la sensibilisation à l’hyperconnexion fait partie des objectifs de l’incubateur. J’encourage donc des pratiques plus raisonnables au sein de mon équipe (l’interdiction du multitâche pendant les réunions, pas d’emails pendant le week-end, etc) mais également auprès des incubés afin qu’ils puissent les appliquer au sein de leurs propres équipes. On organise des ateliers dédiés sur le sujet.
Quels effets a eu la pandémie sur nos usages aux outils numériques ?
La pandémie a bouleversé nos méthodes de travail : le télétravail quasi systématique a fait exploser l’hyperconnexion. Mais le numérique a aussi été un remède ; c’est grâce au numérique que nous avons pu continuer à travailler et à échanger avec nos collaborateurs.
S’est alors installé un discours paradoxal : d’un côté, il nous fallait faire attention à notre usage du numérique et d’un autre nous devions être connectés en permanence pour parvenir à travailler. Cette période a eu des conséquences sur nos usages actuels, c’est devenu un enjeu RH primordial.
Existe-t-il des différences d’usage du numérique selon les générations ?
Eh bien pas tant que cela. Au-delà des générations, l’hyperconnexion touche chaque catégorie de la société, mais toujours de manière différente : un community manager sera autant touché qu’un chauffeur Uber. L’hyperconnexion est un phénomène global : il touche tout le monde. Mais si le problème est commun, il n’existe pas de réponse universelle.
Il faut alors repenser chaque métier : quelles sont ses spécificités ? Comment faire évoluer ses usages sans détériorer la qualité de son travail ? Il nous faut également requestionner la culture d’entreprise afin que chacun prenne conscience de son rôle dans ce phénomène : il n’existe pas d’oppresseurs et d’oppressés, mais plutôt un écosystème d’individus interdépendants qui doivent repenser leurs usages du numérique de manière individuelle et collective.
Quelles sont tes astuces et pistes pour réduire l’hyperconnexion ?
L’hyperconnexion touche trois aspects fondamentaux en entreprise : l’aspect organisationnel, le management et les outils. L’organisationnel et le management découlent de la culture de l’entreprise et des pratiques RH qu’il faut donc faire évoluer. Pour les outils, la solution serait peut-être de former les équipes à l’usage responsable de chaque outil (Slack, Google agenda, etc).
À titre individuel, il existe également plusieurs astuces : éviter le multitâche et donc revenir au monotâche, investir dans un réveil et éloigner le téléphone de la chambre à coucher, attendre 30 minutes à 1h avant de prendre son téléphone le matin et pourquoi pas expérimenter la Digital detox ? Sur une demi-journée, une journée ou plus, coupez et rangez tous les appareils numériques et adonnez-vous à d’autres activités. Cette expérience ne résout pas tout, mais elle permet une prise de conscience forte quant à son rapport aux écrans.